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7 août 1989, Miami, Floride.

 

Loren fut accueillie sur le Leonid Andreïev par le commandant Yakov Pokovski, un homme charmant aux cheveux argentés et aux yeux plus noirs que du caviar. Il se montra fort aimable mais il était clair que l’idée d’avoir à son bord une Américaine qui allait poser des tas de questions ne le séduisait guère. Après les formalités d’usage, le second la conduisit à une superbe suite remplie de fleurs. Décidément, se dit-elle, les Russes savent recevoir les hôtes de marque.

Dans la soirée, lorsque les derniers passagers eurent embarqué et se furent installés dans leurs cabines, le paquebot appareilla, quittant la baie de Biscayne par le chenal. Les lumières des hôtels de Miami Beach disparurent tandis que le Leonid Andreïev s’éloignait sous une brise tropicale.

Loren se déshabilla et prit une douche. Après s’être essuyée, elle alla s’examiner dans la glace. Son corps se tenait encore très bien eu égard à ses trente-sept années d’usage. Le jogging et quatre heures de danse par semaine y étaient sans doute pour quelque chose. Elle pinça la peau lisse de son ventre et constata avec tristesse qu’un léger bourrelet ressortait entre son pouce et son index. Les repas plantureux qui l’attendaient au cours de cette croisière n’allaient certes rien arranger. Elle se promit d’éviter les alcools et les desserts.

Elle passa une veste de soie damassée mauve sur un chemisier noir de dentelle et de taffetas puis défit son chignon pour laisser ses cheveux retomber librement sur ses épaules. Satisfaite du résultat, elle décida de faire un petit tour sur le pont avant de dîner à la table du commandant.

La soirée était chaude. La jeune femme s’installa dans une chaise longue sur le pont supérieur arrière et, pendant une demi-heure, détendue, laissa son esprit vagabonder en regardant le reflet de la lune sur les eaux noires. Soudain, toutes les lumières extérieures du pont s’éteignirent.

Loren ne remarqua l’hélicoptère que lorsqu’il fut tout près. Il volait au ras des vagues, sans feux de navigation. Plusieurs hommes d’équipage sortirent de l’ombre pour recouvrir rapidement la piscine du pont des embarcations avec des panneaux de bois. Puis un officier agita une torche et l’hélicoptère vint se poser en douceur sur cette plate-forme improvisée.

La jeune femme se leva pour se pencher au-dessus du bastingage. Elle se trouvait à une dizaine de mètres de la scène qui était baignée par le clair de lune. Elle regarda autour d’elle, ne distinguant que cinq ou six passagers qui se tenaient à l’écart.

Trois hommes descendirent de l’appareil. Deux d’entre eux, semblait-il, étaient traités plutôt rudement. L’officier du paquebot coinça sa lampe sous son bras pour pousser brutalement l’un des inconnus vers une écoutille ouverte. Une fraction de seconde, le pinceau lumineux éclaira un visage blême aux yeux exorbités de terreur. Les mains de Loren se crispèrent sur la rambarde et son cœur fit un bond dans sa poitrine.

L’hélicoptère s’éleva dans la nuit et vira sèchement vers le rivage. Les hommes d’équipage ôtèrent les planches recouvrant la piscine puis se dispersèrent. Quelques instants plus tard, les lumières revenaient. Tout s’était déroulé si vite que la jeune femme se demanda un moment si elle n’avait pas rêvé. Mais il n’y avait pas à se tromper sur l’identité de cette créature effrayée dont elle avait entrevu le visage. Elle était certaine qu’il s’agissait du président de la Chambre des représentants, Alan Moran.

Sur la passerelle, le commandant Pokovski scrutait l’écran du radar, une cigarette accrochée au coin des lèvres. Il se redressa et défroissa la veste blanche de son uniforme de cérémonie.

« Au moins ils ont attendu que nous soyons au-delà de la limite des 12 milles, fit-il d’une voix gutturale.

— Ils n’ont pas été suivis ? demanda l’officier de quart.

— Pas de contacts aériens et pas de navires dans les parages, répondit le commandant. Une opération en douceur.

— Comme les autres », fit l’officier avec un sourire suffisant.

Pokovski, lui, ne souriait pas.

« Je n’aime pas accepter des colis dans des délais aussi brefs et en plus par nuit claire.

— Ce devait être une urgence.

— Ce sont toujours des urgences ! » répliqua le commandant d’un ton caustique.

L’officier de quart demeura silencieux. Il avait servi sous les ordres de Pokovski assez longtemps pour savoir quand il était préférable de se taire.

Le commandant examina une nouvelle fois l’écran du radar, puis balaya du regard l’horizon obscur.

« Faites escorter nos invités jusqu’à ma cabine », lança-t-il avant de quitter la passerelle.

Cinq minutes plus tard, le second frappait à sa porte et introduisait un homme vêtu d’un costume fripé.

« Je suis le commandant Pokovski, se présenta le patron du Leonid Andreïev en s’extirpant d’un profond fauteuil de cuir.

— Paul Souvorov.

— K.G.B. ?

— Oui. »

Pokovski lui désigna un divan.

« Verriez-vous un inconvénient à m’informer des motifs de votre arrivée inattendue ? »

Souvorov s’empressa de s’asseoir et entreprit de jauger son interlocuteur. Le commandant était un vieux loup de mer qui ne se laissait certainement pas impressionner par les exigences de la sécurité de l’Etat. L’agent du K.G.B. choisit la prudence.

« Pas du tout, répondit-il. J’ai reçu pour instructions de faire sortir deux hommes du pays.

— Où sont-ils ?

— J’ai pris la liberté de les faire enfermer dans la prison du navire par votre second.

— Ce sont des transfuges russes ?

— Non, des Américains. »

Pokovski haussa les sourcils.

« Vous voulez dire que vous avez enlevé des citoyens américains ?

— Oui, répondit Souvorov d’un ton glacial. Deux des plus importantes personnalités politiques des Etats-Unis.

— Vous plaisantez ?

— Nullement. Il s’agit de deux membres du Congrès. Leurs noms importent peu. »

Une lueur de colère s’alluma dans le regard du commandant.

« Vous vous rendez compte de la position dans laquelle vous avez mis mon bateau ?

— Nous sommes dans les eaux internationales, lui rappela tranquillement l’agent du K.G.B. Que pourrait-il arriver ?

— Des guerres ont éclaté pour moins que ça ! Si les Américains l’apprennent, eaux internationales ou non, ils n’hésiteront pas un instant à envoyer leur marine et leurs garde-côtes pour nous aborder. »

Souvorov se leva et fixa Pokovski droit dans les yeux :

« Votre précieux navire ne risque rien, commandant.

— Pardon ?

— L’océan est un vaste tombeau, expliqua froidement l’agent du K.G.B. Si la situation l’exige, nos amis américains seront tout simplement remis à la mer. »

 

Panique à la Maison-Blanche
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